Faut-il faire porter ma chienne ?
Comparée à la vie humaine, celle d’un chien est courte. On pense parfois à
prolonger la relation avec notre compagnon à travers sa descendance. Mais est-ce
toujours une bonne idée de le faire se reproduire ? D’abord, il faut tordre le cou à une
idée reçue : avoir des bébés n’est pas une nécessité, ni physiologique, ni
psychologique, pour la chienne. Dans une meute de loups, seul le couple alpha se
reproduit et les autres n’en sont pas malheureux pour autant. Une première portée
peut favoriser l’élargissement du thorax d’une femelle un peu fluette. Cela n’a
d’intérêt que pour la faire participer avec plus de chances de succès à des
expositions. Quant au mâle qui a sailli, il devient souvent plus agressif envers ses
congénères.
Si l’on fait reproduire son chien, c’est bien pour notre plaisir à nous. Et ce plaisir est
immense. C’est passionnant d’observer le développement physique et psychique des
chiots et la manière dont la mère s’en occupe. Mais pour que ce plaisir ne se
transforme pas en expérience malheureuse, il faut qu’un certain nombre de
conditions soient remplies.
D’abord, il ne faut envisager la reproduction qu’avec des chiens qui sont vraiment au
top. Ce n’est pas rendre service à une race d’utiliser des géniteurs ayant des défauts
qui ont toutes les chances de se retrouver dans la descendance. Sur le plan
morphologique, les résultats d’expositions sont de bons indicateurs. Un chien apte à
reproduire devrait y obtenir le plus souvent la mention «excellent».
Il faut aussi tenir compte de deux facteurs essentiels : la santé et le caractère, dont
les composantes héréditaires sont importantes. Faire procréer un chien qui a une
santé douteuse, qui est agressif ou peureux est franchement déloyal à l’égard de
ceux à qui vous céderez les chiots.
Ca y est, vous êtes décidé. Quelle sera la suite des opérations ? Assumer la
responsabilité d’une portée n’est pas une mince affaire. Il ne faut pas trop compter
sur la chienne pour savoir ce qu’il faut faire quoi qu’il arrive. Dans la nature, la
descendance des femelles qui ne sont pas des mères avisées est tout simplement
anéantie. Depuis de nombreuses générations, la sélection naturelle n’opère plus
chez nos chiens.
C’est donc à l’homme d’avoir les connaissances nécessaires pour gérer tout le
processus, qui comporte de nombreux éléments : la saillie, la gestation, la mise-bas,
l’alimentation et l’éducation des chiots. Et cela pour autant que tout se passe bien. Il
faut aussi savoir quoi faire s’il y a des problèmes, et ils ne sont pas si rares. Par
exemple, il faudra biberonner les chiots toutes les deux heures pendant les premiers
jours si la chienne n’a pas assez de lait.
Ces connaissances s’acquièrent dans des livres, qu’il vaudra mieux compléter par
les conseils d’un éleveur chevronné. Il a aussi dû commencer une fois et a fait des
erreurs qu’il essayera de vous éviter, s’il est sympa. Passons sur certains aspects
techniques, qui sont importants aussi, comme le choix du partenaire (celui qui est le
plus proche, le sien ou celui d’un copain, est rarement la meilleure des solutions).
Il faut encore qu’un certain nombre d’éléments pratiques soient réunis. Un minimum
d’espace est nécessaire (et d’ailleurs obligatoire d’après l’ordonnance sur la
protection des animaux). A partir d’un mois, les chiots doivent pouvoir s’ébattre à 2
l’extérieur, ce qui exclut l’élevage en appartement. Il faudra aussi une caisse spéciale
pour la mise-bas et les premières semaines des bébés et un parc bien fermé pour la
période suivante, ainsi qu’une longue liste de petit matériel.
Mais le plus important est la disponibilité à avoir pour bien élever une portée. Pour
sociabiliser correctement les chiots, il faut passer beaucoup de temps avec eux. S’il y
a un secret pour être un bon éleveur, c’est bien celui-là. Autrement dit, on ne peut
pas mener à bien une portée si l’on a un travail à plein temps. Même à mi-temps,
c’est limite.
Si vous voulez faire du travail sérieux et donner des garanties à ceux qui adopteront
vos chiots, vous élèverez avec des pedigrees. Cela signifie qu’il vous faudra d’abord
obtenir un «affixe» c’est à dire un nom pour votre élevage, qui sera reconnu et
protégé par la Fédération cynologique internationale (FCI). Vos géniteurs devront
non seulement avoir eux-mêmes un pedigree, mais encore avoir subi avec succès
une sélection spéciale pour vérifier qu’ils sont conformes au standard de la race et
qu’ils n’ont pas de maladies ou tares héréditaires. Ils passeront aussi un test de
caractère. Vous devrez respecter un règlement d’élevage promulgué par le club de la
race, qui effectuera un contrôle de votre portée.
Si tout cela vous effraie trop ou que toutes les conditions pratiques ne sont pas
remplies et que vous voulez quand même faire porter votre chienne, vous pouvez
convenir une «cession d’élevage» avec un éleveur. Vous lui prêterez votre chienne
et il s’occupera de la portée sous son affixe et sous sa responsabilité et en principe
dans ses locaux. Votre plaisir ne sera pas tout à fait le même et il faudra vous
séparer de votre chère amie canine pendant plusieurs mois.
Admettons que tout s’est bien passé et que la portée prospère. Vous n’allez pas
garder cette demi-douzaine, voire cette douzaine, de petits garnements.
Heureusement beaucoup de vos copains vous ont promis d’en prendre un. Vous
allez voir maintenant comment la plupart vont se défiler sous divers prétextes. Pris
par l’angoisse de ne pas pouvoir placer tous vos chiots, vous allez peut-être les
confier un peu à n’importe qui, sans avoir la certitude qu’ils ont trouvé une bonne
famille d’accueil. A moins d’avoir un porte-monnaie à la place du cœur, c’est
traumatisant.
A propos de porte-monnaie, vous imaginez peut-être que vous aller vous remplir les
poches avec la vente des chiots. Il est vrai qu’une portée nombreuse et sans
problème couvre assez bien ses coûts. Mais la malchance n’est pas si rare. Une
césarienne d’urgence un jour férié, pour un ou deux chiots, écornera passablement
vos économies.
Je ne veux pas vous décourager, mais pour que l’expérience d’une portée soit une
réussite, il faut être vraiment très motivé, avoir un environnement adéquat et un très
bon chien, n’être avare ni de son temps ni de sa peine. Si tout cela est réuni, alors
lancez-vous, c’est une magnifique aventure. Mais faites-le dans les règles.
Louis Mayer
président de l’Association romande
des éleveurs de chiens de race
www.chien.ch